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Emmanuel Macron face aux leçons des Manouchian

Prérogative du président de la République, le choix des « grands hommes » jugés dignes d’entrer au Panthéon est un acte éminemment politique, au plus noble sens du terme. Une décision qui exprime les valeurs du pays, célèbre des figures exemplaires qui les incarnent, proclame la fierté d’idéaux partagés. A cette aune, la décision d’Emmanuel Macron de faire reposer les dépouilles de Missak Manouchian et de son épouse, Mélinée, dans le temple républicain des héroïnes et héros français constitue un message puissant et salutaire. La « panthéonisation » des deux immigrés membres de la Résistance qui ont combattu le nazisme est d’abord un acte de justice qui éclaire un pan de l’histoire longtemps occulté ; c’est aussi une affirmation limpide du rôle des étrangers dans la vie du pays et de la capacité de la France à faire rayonner des valeurs universelles.
Etrangers ou apatrides, juifs ou d’origine arménienne comme les époux Manouchian, communistes, antifascistes, internationalistes, les combattants des Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) étaient aussi des « Français de préférence », selon la formule du poète Aragon, c’est-à-dire par choix des idéaux de la révolution de 1789. Quatre-vingts ans après l’exécution de leur chef, Missak Manouchian, et de vingt et un de ses camarades, le 21 février 1944, au Mont-Valérien – Olga Bancic fut décapitée en Allemagne –, ces vingt-trois martyrs connus de la mémoire collective à travers l’Affiche rouge qui les dénonçait comme « l’armée du crime » entrent solennellement par la grande porte dans l’histoire de la France.
Pareil événement n’allait pas de soi, tant le récit gaulliste unanimiste sur la Résistance et celui, nationaliste, du PCF ont longtemps occulté le rôle des étrangers. Après la fin de non-recevoir opposée par François Hollande en 2014 aux premières demandes d’entrée au Panthéon des fusillés du « groupe Manouchian », l’ouverture d’Emmanuel Macron marque, selon ses déclarations à L’Humanité, « une façon de regarder autrement notre histoire, d’inventer une autre relation avec nos compatriotes dont les familles viennent d’ailleurs ».
Positive, cette vision mûre du récit national exige cependant un minimum de cohérence. La célébration des résistants immigrés ne peut être dissociée du contexte actuel, celui d’un pays travaillé par la xénophobie attisée par l’extrême droite. Rarement une « panthéonisation » aura résonné si fortement avec l’air du temps.
En affirmant que « les forces d’extrême droite seraient inspirées de ne pas être présentes » à la cérémonie de mercredi 21 février, le président de la République a énoncé une évidence : le parti de Marine Le Pen, successeur du Front national qui comptait des négationnistes et des collaborateurs parmi ses fondateurs, est l’héritier des Français qui pourchassaient et livraient les résistants, qui associaient « étranger », « juif » et « crime ». La décence et le respect devraient suffire à dicter au Rassemblement national (RN) une attitude de retrait. Une formation politique qui utilise les étrangers en boucs émissaires n’a rien à faire dans une célébration de leur héroïsme.
Mais la signification de la cérémonie voulue par Emmanuel Macron serait autrement plus forte s’il cessait de louvoyer entre les postures morales qu’il adopte dans ses discours mémoriels et les actes par lesquels il installe les responsables du RN et certains de ses thèmes au centre de sa stratégie politique. Combattre l’extrême droite suppose un cap clair. Et non pas conforter ses obsessions ou oublier son histoire sinistre dès qu’il s’agit des joutes politiques d’aujourd’hui.
Le Monde

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